Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais est né à Saint-Malo le 11 février 1699.
Il fut exemplaire comme grand-marin, capitaine de la Compagnie des Indes, administrateur, bâtisseur et chef de guerre.
Héros de Mahé, Négapatam et de Madras, cet homme actif, imaginatif, réaliste et intègre servit brillamment son pays outre-mer.
Ce qu’il y a de plus beau dans Port-Louis est dû à son génie : il a cru en l’Ile Maurice.
Et c’est pourquoi un siècle après sa mort, L’Isle de France, sous l’occupation anglaise en 1869, lui rendra un hommage solennel en érigeant sa statue à Port-Louis, une œuvre en bronze du statuaire Auguste Dumont.
1987 : Exposition Saint-Malo- Isle de France de Monsieur Dan Lailler, conservateur des musées à la Chapelle St Sauveur, puis à Maurice, au musée de Mahébourg. Parmi les documents d’époque, un grand projet est présenté : dresser une statue de Mahé de La Bourdonnais près de son lieu de naissance, au fort La Reine, sur les remparts de Saint-Malo face à la mer.
Sous les hospices de l’Amicale Maurice-France, la statue sera offerte par une souscription volontaire des Mauriciens.
Plusieurs personnes vont s’activer pour faire prendre corps à cette réalisation. En étant bref, 2 noms : Le président de l’association Philippe Lenoir et Monsieur Armand Maudave.
8 novembre 1988 : Un télégramme arrive à la galerie : Départ retenu sur Air France ; Prendre contact avec la Direction Afrique/Océan Indien pour billet d’avion.
Le coup d’envoi est donné. Je me sens l’âme corsaire et avec ce seul télégramme en guise de lettre de course, l’aventure va commencer.
Je connais les iles du pacifique Sud pour y avoir séjourné plusieurs mois mais pas celles de l’Océan Indien. J’aime la vie des iles, mon désir est d’y retourner depuis bien longtemps.
Malgré l’avion, les distances sont encore longues et le prix du séjour toujours aussi lourd pour des vacances trop courtes. L’occasion est belle et attendue.
Les dates ne correspondent pas du tout à ce qui était prévu au départ. Pour le travail, je souhaitais fin septembre, voire octobre pour avoir le temps de rentrer et de préparer Noël à Saint-Malo ; mais partir à 12 000 km dans les iles, ayant comme but de ramener l’empreinte d’un grand malouin et de réaliser sa statue en bronze, pour un mouleur exerçant dans la cité, quel programme de choix !
C’est ce que je vous propose de découvrir avec quelques souvenirs, mais surtout de vous transmettre toute la chaleur des Mauriciens qui n’a pas été entamée depuis 250 ans et d’apprécier leur cadeau d’anniversaire.
J’emporte une tonne de matériel (pourvu que je n’oublie rien !).
Je suis ambassadeur de Saint-Malo : J’apporte une technique. Dès le départ, j’en prends conscience.
Air Mauritius se charge du fret du moulage ; c’est bien sauf que l’avion se trouve à Orly-Sud et le mien, avec la participation d’Air France, à Roissy-Nord.
Déclaration en douane. Une journée pour faire admettre que j’emmène des produits en poudre, non pour les vendre sur place mais afin de réaliser le moule.
Voyage superbe 12 à 15 heures d’avion, je coupe l’Afrique et Madagascar.
Première question à l’arrivée : Est-ce que les caisses ont suivi ?
Je suis à Maurice avec la tradition des iles ; Au bout de 3 jours, j’arrive à connaître les différentes personnes sur qui je pourrais compter pour me faire apporter mes outils au pied de la statue.
J’ai quelques craintes pour mes produits : Auront-ils bien voyagé ? Gros écart de température entre Paris et Port-Louis : C’est l’été qui commence ici, à l’inverse de nos saisons.
Au passage en douane ont-ils été ouverts ?
Quelle surprise quand, au bout de 8 jours, c’est le Ministère de l’Agriculture qui s’est penché sur ma terre à modeler : ils ont cru à une importation pour faire pousser une nouvelle race de canne à sucre ! Résultat : 5 jours de retenue à l’aéroport.
Parti pour 3 semaines de moulage intensif, ces 8 jours d’attente m’ont fait prendre connaissance des lieux et de leurs traditions.
La statue de Mahé de La Bourdonnais à Port-Louis est située en plein centre face au port, près du marché, sur la place d’Armes.
L’échafaudage est monté, une cabine de chantier mise à disposition pour le matériel avec un aide et un gardien local qui m’apprennent un peu de créole.
La Ville de Port-Louis se remplit vers 9 h et se vide complètement après 16 h. Que ce soient les administrations, les commerces, les banques, l’approvisionnement des marchés, tout se passe aux pieds de Mahé, situé en plein carrefour.
Je suis porté par cette foule : que de contacts et quel spectacle !
Situé à 6 mètres de hauteur avec le fondateur de la capitale.
Les journaux, la télévision viennent nous rendre visite et font grands échos de Saint-Malo et d’informations sur le moulage.
Tous les jours à 10 h, je vois passer le Président (qui est là-bas un premier ministre) Monsieur Anerrood Jugnaut avec sa voiture blanche escortée de 2 motards.
C’est çà une ile, ou peut voir tout le monde tous les jours.
L’idéal est de commencer très tôt, vers 6h30 / 7 h pour étaler le plus possible car, passé midi, j’étais collé par la chaleur, le bruit, la fatigue. J’avais moulé des Surcouf, des Jacques Cartier, des Chateaubriand, Lamennais, même le général Vallhubert à Versailles. Mais un homme aussi grand (3 mètres) en plein soleil, sous les palmiers, ce fut une riche expérience … et peut être parfois un peu galère !
Pour être raisonnable, l’expérience me montre, qu’il aurait fallu 2 mouleurs, la tâche aurait été moins rude et surtout moins risquée mais l’aventure aurait été plus facile.
J’avais le moral et j’ai goûté toutes les spécialités du quartier : cuisine chinoise, indienne, créole ou directement des litchis et les ananas sur le marché.
Chaque jour, c’était une impatience partagée de voir le démoulage.
Les Mauriciens voulaient retrouver leur homme et, moi, voir le résultat final.
Je les remercie de leur confiance et de leur compréhension pour cette attente.
Dans le moulage, ce qui est passionnant, c’est « l’aventure du moule » petit ou grand, il est toujours différent et tant qu’il n’est pas achevé, le suspense est là. Personne ne peut juger le résultat final.
Au bout d’un mois, il y eut des impondérables qui ont joué d’importance :
- Les pluies tropicales. Je me réfugiais sous le manteau de la statue pour laisser passer un petit nuage mais pour les plus gros, bien obligé de me mettre à l’abri dans la cabane. Je voyais monter l’eau d’un seul coup dans les rues,
- Puis il y eut les visas à reconduire de semaine en semaine pour être en règle avec la police. A Maurice, un étranger a droit à 8 jours par an pour traiter un travail sur place. Dans mon cas, c’était impossible ; je les avais épuisés avant de commencer en attendant mon matériel.
Voilà, c’est pourquoi Noël et le jour de l’an se sont fêtés là-bas.
Cela m’a permis d’assister à la marche sur le feu à l’occasion de la nouvelle année.
Janvier à Maurice, c’est pire que Paris au mois d’août. Les entreprises ferment et tout le monde prend ses vacances, c’est terrible.
Il ne faut pas avoir besoin de quelqu’un à ce moment-là.
L’échafaudage, la cabane de chantier, tout a été démonté du jour au lendemain. A cette époque, le risque de cyclone est fréquent et les responsables du matériel veulent partir tranquille.
Je me trouvais à 10 km de Port-Louis ave mon puzzle dans un entrepôt à Pailles et une équipe de joyeux drilles à fêter 1989 à grands coups de Sega tout en emballant l’empreinte de Mahé dans 7 caisses faites sur mesure et avec le plus grand soin.
L’ensemble est bien arrivé à la fonderie. Encore un peu long pour l’équipe qui allait prendre le relais.
4 mois étaient nécessaires pour réaliser le bronze et il n’en restait que 2 pour une inauguration prévue le 16 avril !
Heureusement, j’avais fait le bon choix et mes collègues furent souples et purent s’adapter à la demande.
Mahé ayant retrouvé tous ses membres, en travaillant jour et nuit, nous allions être prêts.
Mais il y a du nouveau à Saint-Malo à la suite des élections municipales. Changement de programme, l’inauguration est reportée en septembre.
En avril, il faisait un temps épouvantable.
La statue a été inaugurée le 17 septembre 1989, à l’occasion de 250ème anniversaire de la fondation de Port-Louis, avec la participation de nombreuses personnalités mauriciennes et françaises dont Monsieur Alain Decaux, Ministre chargé de la francophonie.
Merci à Mahé d’être parti de Saint-Malo pour un si beau pays.
Jean Marie Paté (sculpteur).
de Port Louis à l’Ile Maurice